Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

jeudi 14 octobre 2010

Carnets lointains, XXII (assourdi)


Parfois les nuits sont silencieuses. Sourdes. Sans ponctuation, sans accentuation. Les profondeurs que le dormeur doit parcourir pour remonter vers la surface du jour paraissent soudain, deviennent soudain insondables. 

Rassuré par la chaleur de ses couvertures, il s'est enfoncé sans méfiance dans les méandres de sa conscience.  Il s'est laissé descendre dans des veines oniriques qu'il n'aurait jamais dû parcourir. Bien sûr, il ne sait plus comment remonter de ses terreurs implicites. Une image sans signification lui traverse l'esprit, comme un coup de lance, sa conscience se débat pour revenir au monde, la nuit qui l'engloutit le renvoie dans ses cauchemars, il ne parvient à rien, traverse solitaire toute cette épaisseur poisseuse de l'angoisse des nuits. 

Plus il s'agite, plus il se débat dans la poix de ses souvenirs, plus il perd pied, la mécanique des sables mouvants lui est pourtant bien connue, mais cela n'empêche rien, il se débat, il s'enfonce, il perd pied, ses angoisses le pénètrent de toutes parts, il perd pied, il se débat à chaque fois un peu plus, la descente est sans fin, il s'enfonce dans les gouffres de sa conscience qui l'engloutit.

Les nuits sont sourdes.

Le dormeur dans ses limbes ressent seulement le souvenir des pas qui autrefois le portaient.  Ou qui portaient la vie vers lui. Le bruit bien connu, le bruit auquel son oreille s'était parfaitement adaptée, elle l'aurait, entre mille, reconnu,  d'un pied nu sur le parquet. D'abord le choc un peu sourd du poids qui entre en contact avec le sol, qu'un instant il croyait avoir perdu. La légèreté n'est qu'une illusion produite par des alchimies complexes de notre cerveau. Elle ne peut être que cela, une drogue naturelle que nos synapses, par moment, s'injectent d'elles-mêmes. Il entend les bruits fossiles de ses jours défunts dans le tombeau des nuits. Tout le jour, le mouvement et l'agitation le garantissent de cette confrontation, il a inventé tout le jour des détours épuisants pour, surtout, ne pas être confronté à son désespoir, et voilà que dans le silence des nuits, sa conscience lui renvoie ce bruit sourd, rien que cela,

le choc du talon contre le bois du parquet

il mesure alors l'incommensurable, il s'enfonce alors dans les profondeurs,  par la puissance de ce son mat sur le parquet, rien que cela, le bruit sourd du talon contre le parquet, il le connaît, le reconnaît entre mille, même s'il ne compte plus les jours qui le séparent de sa dernière occurrence dans le monde, et voilà que le même bruit revient hanter sa conscience, astéroïde perdu émanant de ses souvenirs, souvenir errant d'autrefois.

Cela ou n'importe quoi d'autre. C'est toujours la même scène.

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