Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 2 octobre 2010

Carnets lointains, XV (obscur)


Le mouvement reprend. 

Lentement d'abord. Il est difficile cependant de conserver une ligne verticale. Le corps se déplace autour de l'axe que le bras tendu indique, proche de la perpendiculaire avec le sol.  Il tente de la tenir. Tous les corps, légèrement déplacés par l'accélération et leur propre inertie, sont près de s'entrechoquer quelque peu. De se heurter dans une bousculade insensible. Ébranlement des lignes. Catastrophe interrompue sous les néons fades et plats.

Je referme les yeux dans l'odeur de ma manche. Dans la douceur de son contact. Il reste au moins ce minuscule espace d'absence protégée dans lequel me retirer.

Je me souviens de l'odeur d'autrefois, l'odeur des draps, les nuits fraîches et courtes d'été, ils avaient séché au soleil, les bras tendus des femmes les avaient suspendus à un fil, dans le vent et le soleil,  comme autrefois, comme toujours, le soir ils étaient secs, elles refaisaient les lits, avec des gestes amples et précis, elles replaçaient les oreillers sans omettre de leur redonner une forme, arrondie, pleine, et il ne restait qu'à se glisser dans l'univers des rêves profonds et lointains, dans la douceur du lin tissé. L'odeur était vertigineuse et les mots n'y peuvent rien. Je ne la retrouve pas. Je ne la retrouverai jamais, bien que l'hallucination m'en vienne presque, dans les moments de désespoir, et qu'elle ajoute alors au désespoir.

Les crissements des rails résonnent jusque dans les os de ma tête.

Je me souviens des bruissements des nuits, des pas des oiseaux sur le toit, au dessus de ma chambre,  qui s'amplifiaient dans le silence, des frôlements des insectes sur ma joue, du froissement de l'herbe et des feuilles, lorsqu'un animal nocturne faisait sa ronde. Le bois de la maison craquait, sans qu'aucun pas ne porte personne dans l'escalier de châtaignier, la charpente travaillait dans l'obscurité, après la chaleur écrasante du jour, reprenait vie en dehors des présences familières. Et le vent immense passait. Effacement…

Décélération. 

Le corps déséquilibré d'une femme vient me heurter et me pousse contre la paroi.  Je m'y tiens désormais. Elle ne s'excuse pas. Se propulse vers la sortie. Ne pas manquer la station. Ce qui me désagrée profondément, elle m'a obligée, par un réflexe absurde, réflexe de survie absurde dont je ne parviens pas à me défaire, à rouvrir les yeux. À présent, ils sont là, passagers affalés, bavards, oppressés, silhouettes froissées, fatiguées dans la lumière des néons. J'aurais préféré ne pas les voir. Ne pas voir les affiches publicitaires. Ni les clochards qui n'ont même plus le droit de s'allonger pour dormir.

J'aurais préféré ne rien voir de tout cela et laisser le temps et l'espace défiler sans moi.

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