Dans ce creux de la nuit, qui est comme le creux doucereux d'une vague, les mouvements deviennent fluides.
Le temps glisse sans accroche. Plus rien ne l'agrippe dans ce glissement du monde à l'entour. Aucune accroche. Rien qui pèse ou qui pose. J'ai tant besoin, intensément, instamment, de la fluidité des lignes, de la facilité des mouvements. Le trait glisse, et la courbe se dessine, et les perfections mathématiques accompagnent son tracé, ainsi, dans le délié des possibles. Il est difficile, au début, de croire à cette légèreté et de croire qu'à elles, nous soyons rendus.
Le jour est une tourbe épaisse, qu'il nous faut sans cesse contempler, et remuer et qui retient nos mains. La matière prend peu à peu et se solidifie ; les jours se font lourds et brumeux. La tourbe sèche et se craquèle. Voilà que nos mains y sont prises, elles qui essaient de la modifier, et n'ont pas encore renoncé. Et tout cela demande des tensions intenses de la volonté. La volonté s'arc-boute et se tend, et sans doute aussi, elle s'épuise peu à peu, et s'effrite. Et son érosion rend pesant, d'une invraisemblance furieuse, ce mouvement même qu'autrefois nous accomplissions dans l'inconscience et la légèreté. De ce point très reculé où nous sommes, de ce point très reculé de la conscience, cette gravité se perd et s'estompe.
La nuit est une grâce suffisante, et chaque fois elle nous est rendue.
Que cela, à jamais, me soit rendu. Moi qui ne prie jamais, qui ne prierai jamais, qui jamais ne ferai une supplique pour moi, il est possible qu'un jour je l'ai murmuré. Parce que j'aime plus que tout ce mot qui se retourne sur lui-même, et que jamais dise toujours et piège ainsi tous les vœux, quand ils cherchent à s'échapper de nos lèvres et qu'un sourire flotte, mystérieusement, sur elles. Si les contraires se rencontrent, et se recomposent, il est possible que la grâce nous soit rendue. Je crois encore, en dépit de toutes les affirmations contraires, et de toutes les mises en garde, au pouvoir du vent immense venu de la mer, qu'il nous rende la légèreté qui fut celle de nos êtres, et nos pas sur le sable se feront légers, les traces se marqueront, fines et frêles, sur le sable. Il nous sera tel une caresse. Finesse de la matière brisée sur la peau nue. Le sable est une caresse, les vagues l'ont réduit en minuscules éclats, dans lesquels les micas se mêlent au granit, et il reste parfois, sur la peau à la saveur salée, un minuscule éclat de lumière qui se laisse emporter dans la valse du soir.
Nous étions pourtant à genoux. La nuit est une grâce suffisante qui nous relève de nos jours.
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