Alors une fois qu'il est parti — au bout d'un temps il est parti, il n'y a rien à lui reprocher, j'ai été imprudente, il a vérifié que je n'avais rien, il criait une inquiétude intense, et me regardait de ses yeux fiévreux, puis il est parti, je n'avais qu'une hâte, que cela cesse, que les passants arrêtent de nous regarder, je ne disais presque rien — alors, quand enfin il est remonté dans sa voiture, et qu'il a démarré, j'ai fait quelques pas et je ne savais plus vraiment où aller. Je me suis assise seule, dans un coin de monde, il y avait un banc en pierre, et je me suis mise à pleurer. Voilà. Je me suis mise à pleurer. C'est tout. C'est comme ça. Il y a des années que je les retenais. Que je me retenais. Voilà des années que je me contrains de toutes mes forces. Que je les épuise simplement pour cela : ne pas laisser couler mes larmes.
Et soudain je ne vois pas pourquoi. Je ne vois pas quelles sont les raisons pour cela. J'ai dû perdre quelque chose. La trace. Comme une trace sur le sol de mes pas, et je ne peux plus revenir en arrière. Comme une trace sur la page, et je ne sais plus où j'en suis, la lecture hésite, les yeux cherchent une ligne, une indication, quelque chose qui leur permette de reprendre, dans toute la régularité qui est la leur, leur mouvement régulier, parfaitement, de gauche à droite, retour à la ligne, et de nouveau la ligne, et de nouveau, le même balancement de gauche à droite.
Je ne vois plus aucune raison de continuer
.
Il n'y a aucune raison. De bouger. De respirer. Je ne vois aucune raison. Mes yeux se brouillent et se remplissent de larmes. Elles commencent à couler. Sur mes joues. Elles ruissellent. J'aimerais qu'il se mette à pleuvoir. Et tout cela s'entremêlerait. Mais le monde est sec et vide, désespérément sec et vide. Il a marqué un point d'arrêt. Un instant, l'allègement de la course et la liberté des gestes avaient paru possibles, ils le sont donc. Mais pour l'instant je ne bouge plus. Les embranchements des possibles se ramifient et s'ouvrent, et tout pourrait basculer, et puis finalement, rien ne change. Mouvement et immobilité. Le jour un moment a oscillé, et finalement il ne bouge plus.
Je ne sais pas non plus pourquoi je ne bouge pas.
Je ne bouge plus. Pour le moment, je refuse de faire le moindre mouvement. Les larmes coulent sur mes joues. Il n'y a aucune raison, et je ne vais pas me justifier de tout. Je ne resterai pas là très longtemps. Je le sais bien. Le froid m'enveloppe qui monte du crépuscule. Je ne vais pas rester là. Quand mes larmes auront coulé, quand elles auront ruisselé dans quelque fissure de mon être, alors il me sera possible de me relever, de repartir, d'essuyer ma joue d'un revers de la main, et de faire bonne figure.
Même si mon maquillage a un peu coulé.
Magnifique...
RépondreSupprimerLes larmes sont parfois salvatrices, nourrissant un espoir que l'on croyait sec...