Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

dimanche 3 octobre 2010

Carnets lointains, XVIII (in absentia)


 Le dénouement a défait tous les fils, et de nouveau, le présent s'effiloche sous mes yeux.

Ils étaient repartis tous les deux, elle apeurée, lui retrouvant ses gestes, sa place. Seulement, au moment de disparaître, il s'était retourné et nous avait lancé un regard que nous avions compris.  Il n'était guère possible d'avoir une hésitation. Sur sa signification, il n'était pas possible d'en avoir. Le couloir les avait absorbés, ils avaient hâte, sans doute, de se fondre dans l'épaisseur et dans la densité de leur quotidien. Nous trois restions seuls, et nous sommes éparpillés sans un mot. La proximité un instant réelle venait de voler en éclats, et nous n'avons même pas échangé un regard avant de reprendre notre chemin. 

Je ne savais pas très bien où allait ma route. Je n'avais pas vraiment de quotidien. 

L'habitude inscrit dans le corps le passage du temps, son retour aussi, et le rythme des journées, des saisons. Habitude de fumer une cigarette le matin, ou de prendre un douche et de laisser des heures durant l'eau ruisseler le long de la nuque, habitude de boire son café en lisant le journal, et de commenter avec l'autre l'extraordinaire dans le passage des événements du jour, qui prend place alors dans l'habituel, dont la force se révèle toute entière dans sa capacité d'absorption.  L'habitude est du corps et les appesantit. Les ramène dans les chemins qu'ils tenteraient de quitter. Les ramène dans le droit chemin. Inéluctablement. Un geste commence, qui s'esquisse, comme une possible liberté, et qui retombe au même endroit, toujours, pesamment, involontaire.

Cette absence ouvre des possibles qui se referment aussi vite, et parviennent à être écrasants.

J'ai eu, en pensant à eux dans le moment de leur éloignement silencieux, tacite, quelque chose comme le tournis. Vertige, de ne savoir où aller, de ne savoir quoi faire, de n'avoir aucun endroit où aller. Vertige. À leur habitude, je n'ai pas d'autre réponse à apporter que l'usure extrême de la fatigue. L'absence de toute trace qui signalerait dans l'espace ma présence et mes gestes. Je viens de comprendre, soudain, que mes gestes ne sont rien et que personne ne les pleurera, que ma présence est irréelle et qu'elle ne manquera pas, que ma voix est silencieuse depuis longtemps et son timbre ne vibre plus. Vertige. Personne.

Il est temps de partir. 

Il reste l'énergie du désespoir, il ne reste que cela, l'énergie du désespoir, celle précisément, que donne le désespoir quand, n'attendant plus rien, n'ayant plus rien à perdre, on fait taire les calculs, et les angoisses reculent. Cela ne ressemble pas au bonheur. Ce pourrait être un apaisement. Ou l'usure extrême. Le coup de talon du noyé qui sent le sol sous son pied et qui, par réflexe, ou par souvenir d'un ancien réflexe, enfin, sans doute parce qu'il serait absurde, pour une fois, de ne pas réagir ainsi à la poussée du monde, donne un coup de talon magistral et repart vers le soleil, visage tendu, prêt à absorber l'air. Même s'il pense, en son for intérieur, qu'il ne parviendra pas jusqu'à la surface, qu'il est impossible qu'il y parvienne jamais.

De moi, il ne reste pas autant. Rien qu'une indifférence au monde.

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