Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

vendredi 15 octobre 2010

Carnets lointains, XXIV (fissures)


La succession des images ne suit aucune linéarité, elle procède par à-coup brusques, par ruptures, au point que cette pépite répand dans son regard ses circonvolutions complexes, peu à peu occupe tout ce qu'il reste de sa conscience, un point fixe de silence dans des mouvances minérales et luisantes. La terre tout autour est noire et lourde, comme celle d'une forêt en automne, lourde de pluie, de feuilles décomposées et traversée des racines torturées des arbres.

Il y a autour de tout cela tant de concrétions de son enfance qu'il se réveille en sursaut. 

Moi non plus, je ne comprends pas comment nous faisons pour dormir avec ces cristallisations de nos souvenirs autour de nous, autrefois courant clair, tous, ils en sont venus à se solidifier comme englués dans du pétrole épais. Ce qui autrefois faisait battre en nous la possibilité même de s'avancer dans la vie est devenu une étrange concrétion aux formes déchiquetées dont nous parcourons sans relâche les circonvolutions déchiquetées. Parfois, sans que nous puissions rien faire parce que c'est à peine si nous nous en rendons compte, un pan de nos souvenirs tombent dans une terre épaisse et lourde. 

Je me souviens enfant d'avoir senti mes souvenirs s'effacer. Alors pour les incanter, chaque soir, je les faisais revenir par les phrases dans lesquelles je les glissais, dans la chaleur de mon lit, dans l'immensité des soirs. Il me semblait sentir que ma mémoire se fissurait, quelque chose de moi partait, disparaissait dans une nuit sans fin, quelque chose de moi se fissurait. Les mots me paraissaient les seuls confidents possibles, dépositaires pour moi de mes souvenirs qui me fuyaient, et mon moi fissuré se réparait dans les histoires que je me racontais de mon existence. Toute consolation vient de là.

Sentir ses souvenirs s'effacer emmène dans des profondeurs vides, on sent que la chute pourrait y être indéfinie, strictement verticale, dans l'oubli terne ; en retour, que ces mêmes souvenirs reviennent tels des comètes, sans être sollicités, sans être incantés, pour traverser le vide nos  nuits, est une déchirure de l'espace et de la conscience. Ils passent sous nos paupières, souvenirs de la douceur qui fut, souvenir des rêves que nous aurions voulu avoir, souvenir inventé qui seul me rassure au creux du silence et de l'absence.

Leurs mouvements ne sont pas prévisibles. Ils échappent à toute géométrie. Soudain une débandade de rêves effilochés revient hanter nos nuits, venus du fin fond de l'oubli, dans des farandoles imprévisibles, et nous voilà pris dans un mouvement absurde, où les souvenirs se mêlent aux inventions de notre esprit, et des parfums d'enfance perdue nous arrachent des sourires et des larmes, et nous traversons ainsi, en titubant, tout l'espace qui nous emmène aux frontières de l'aube.


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