Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

vendredi 22 octobre 2010

Carnets lointains, 16 (point fixe)


Juste cela : un point fixe dans l'univers. 

Autour de moi, tout bascule, tourbillon, passage, écroulement. Les voitures se suivent, interminablement, il y a dans ce jour lancinant, quelque absurdité supplémentaire qui pointe, et chacune trace dans l'espace des trajets matinaux, qui s'entrelacent, s'entremêlent, s'emmêlent, je les regarde au bord du fleuve, et il est impossible de rien comprendre aux traits qu'elles tracent dans l'espace de la ville. Des foules se forment, peu à peu, aux entrées des métros, écoulement des êtres, ils empruntent des escaliers immenses qui descendent dans les gouffres, les passants qui martèlent le sol de la même cadence de leurs pas se rassemblent et se rapprochent, convergent, vers un même point de l'espace, en profondeur, ils attendent leur tour pour emprunter un escalier qui les absorbe dans les profondeurs du monde, soulagés si leurs pas n'ont plus besoin de les porter, si des mécaniques grinçantes se chargent d'eux, les aspirent, les déposent, plus bas, plus loin, où ils se déverseront dans des trains, et les portes d'elles-mêmes se fermeront, et ils disparaîtront dans leur journée.

La ville héraclitéenne se déploie.

Il suffit de se pencher sur les bords de ce monde, pour prendre la dimension de ce mouvement, qui se déverse de toutes parts. Monde non fixe, dont l'instabilité et l'éphémère fascinent, les visages croisés, d'un jour à l'autre, ne sont pas les mêmes, les silhouettes se frôlent, ombres passantes, à peine aperçues, je n'ai pas eu le temps de les voir, je n'ai pas eu le temps de croiser leurs regards, et déjà elles disparaissent, dans le même vertige. 

Descartes, penché à la fenêtre de sa maison de pierres blondes, peut-être celle de la rue Saint-Jacques devant laquelle si souvent je suis passée, j'aimerais que ce soit cette maison, cette fenêtre, et que peut-être dans le monde quelque chose demeure, qui est écrit dans les lignes des Méditations métaphysiques, se fascinait dans un vertige ironique, de ne voir que des manteaux et des chapeaux, et de juger que ces objets, ces tissus, ces parures, ces morceaux d'étoffe fussent des hommes. Jugement de son entendement, qui rétablit la perception, et sans laquelle elle ne serait rien. Je ne vois que des objets, et je juge que je vois des hommes, je ne vois rien de fixe, rien qui demeure, et je juge, dans un effort extrême, que je vois la ville, la même, qui toujours se déploie autour de moi, je ne saisis rien de stable, et mon entendement concevra le monde dans sa stabilité, soutenu par l'infinité de la volonté qui est en moi  à l'image de celle de Dieu, infinie. Mais je ne sais pas combien de temps je pourrai soutenir un telle tension.

Pendant que tout s'effondre autour de moi, je tiens dans ma main l'unique point fixe du monde.


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