Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 23 octobre 2010

Carnets lointains, 18 (jusqu'au renversement)


Cette traversée là dure des années, elle pourrait même paraître interminable, et, au début, il n'est pas nécessaire de lutter, mais quand on se rend compte de la puissance avec laquelle elle emporte, il est trop tard, le mouvement est déjà presque accompli entièrement, alors qu'on le pensait presque impossible, invraisemblable, il a duré des années, certes il était impossible de rien faire contre, le courant était trop fort, il emporte, il est inutile de se débattre, il est inutile de lutter, et soudain, tout cela prend fin, le courant déverse sur des berges inconnus, on se relève, un peu surpris, un peu ébahi, les premiers gestes sont maladroits, on n'est pas sûr, et puis cela se confirme, dans le regard des autres, dans leur façon de nous parler, ce sont les autres et leurs regards pleins de sous-entendus, comme si nous étions du même monde; qui fixent ainsi les choses, et les écrasent soudain inexorablement.

Alors soudain, il devient clair que la métamorphose s'est accomplie.

La transformation en adulte est en passe d'être achevée. Entièrement terminée. Il n'y a plus rien à espérer dans ce monde. Tous les possibles se fixent, toutes les ouvertures et les regards, et les mains tendues se crispent, et les questions qu'on pose n'ont presque plus aucun intérêt, jusqu'au point de rupture ; soudain quelque chose se raidit dans les vertèbres, la colonne vertébrale se crispe un peu,  la nuque est rigide, et mutation étonnante, lorsque nous sourions, il n'y a plus que nos lèvres pour sourire, les yeux restent désespérément ternes et inexpressifs. Le visage se déforme d'une crispation volontaire des mâchoires, la bouche indiquerait bien une détente, mais les yeux sont fixes, et perçants, comme fiévreux.

Commence la ronde des harassements.

Pour le moment, je n'ai pas trouvé de solution. Quand les deux battants se sont refermés, une fois de plus j'ai entendu ce déclic électrique détestable, qui signe la fin des espoirs, et il a produit un étrange effet ce matin là, je suis sûre qu'il a provoqué une connexion neuronale qui n'était pas prévue par les services municipaux quand ils l'ont installé : je me suis mise à courir. Essentiellement à courir. Je ne vais pas me laisser rattraper. Tant qu'il y a encore une fibre de mon cœur qui palpite, et même si sans doute il est trop tard, il est possible de se mettre à courir. Sur l'asphalte, la course précipitée heurte la surface du monde. Les pieds sentent, l'un après l'autre, la dureté de la surface, et comme le pas n'est pas en cadence, alors il faut éviter les passants, les dépasser, les éviter, reprendre de la vitesse, descendre la rue, descendre en courant, au bout d'un moment on manque de souffle mais au lieu de s'arrêter, on rit et on continue à courir, il n'y a aucune raison à cela, c'est absurde, c'est désespéré, ça n'a aucun sens, courir, dans la direction opposée à celle qu'il fallait prendre, partir en riant dans l'air glacial du matin, descendre, dépasser toutes les options raisonnables, ne pas se retourner, ne pas réfléchir, la première inflexion est absurde, réellement absurde, et toute la journée en découlera.

Il n'y a que d'en rire qui nous sauvera du désespoir.

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