Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 23 octobre 2010

Carnets lointains, 20 (perspective)


Évidemment, à suivre une parallèle, j'ai un peu perdu la perspective.

Les images du monde ont commencé à se superposer les unes les autres, mais je ne leur trouve pas beaucoup de profondeur. Il y a bien les reflets, les miroirs, et les flaques d'eau dans lesquelles, si on a un peu de chance, la profondeur de champ prend effet. Mais il faut ruser : le monde en face-à-face m'a toujours paru plat. Alors que, comme le remarque Merleau-Ponty, les reflets des reflets, en principe, vont à l'infini. Il y a des moments, des situations, des circonstances, dans lesquels il est possible de regarder le monde en principe. En général, cela ne fonctionne pas, et s'il est précisé que les choses fonctionnent ainsi  en principe, c'est un indice assez sûr que cela ne sera pas le cas. Modalité de la philosophie analytique, parfaitement cacophonique, dont la lourdeur même donne aux textes une pesante allure scientifique it is the case that… Parfois, ce qui est en principe le cas  donne plus d'indication sur le réel que le réel ne nous en accorde, toujours avec parcimonie. Et les reflets des reflets vont à l'infini. Ce qui veut dire, si je simplifie, qu'il suffit, par un dispositif expérimental très simple, de placer face à face deux miroirs, et qu'on dispose alors, à coup sûr, dans le monde fini où toutes nos illusions viennent mourir, d'un peu d'infini.

Je n'ai pas de certitude quant à la valeur consolante de cette propriété.

Les illusions se défont, les rêves se dissolvent dans les torpeurs hébétées des matins, les espoirs s'étiolent, les perceptions s'émoussent, et tout court à sa perte, sous le martèlement des habitudes, mais il suffit de prendre un peu de recul, aussi peu que ce soit, de reculer d'un pas, et de ne plus regarder que les reflets des reflets pour aller ainsi jusqu'à l'infini. C'est un rêve calme de mathématicien, peut-être quelque chose comme une rêverie asympotique, et sa fascination pure. L'asymptote court vers l'axe des abscisses, ne cesse de s'en rapprocher, ne cessera jamais de s'en rapprocher, mais jamais elle ne l'atteindra, quand même l'effort et le calcul se poursuivraient indéfiniment, pour les siècles des siècles, l'asymptote et l'abscisse ne cesseraient jamais de se rapprocher et jamais ne se toucheraient. Et le trait de crayon rejoigne maladroitement la ligne ne trouve rien, comme ce minuscule infini.

Je ne suis pas sûre que cela nous sauve.

Néanmoins, penser qu'une seule goutte de vin, répandue dans l'océan, suffise pour alcooliser cet océan tout entier m'est une certitude réconfortante. Alcoolisation insensée de l'immensité saline des eaux océaniques, et des gouffres marins, et chaque panache d'écume des vagues, aussi blanc soit-il, sera très légèrement alcoolisé, simplement parce que ma main a versé une goutte de vin, cela seul a suffi. Exactement comme une seule proposition fausse, dans une suite aussi longue soit-elle de propositions reliées entre elles par une conjonction devient entièrement fausse. La fausseté se répand dans la vérité, mélange total, et toute la vérité d'autrefois n'est plus que fausseté. 

Je regarde le reflet du monde dans le tremblement léger d'une flaque d'eau.



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