Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mardi 5 octobre 2010

Carnets lointains, 4 (étouffée)


C'est alors que les choses sont parties de travers.

Je n'avais rien à faire, vraiment rien, seulement lire les lignes que j'avais sous les yeux. Quelques feuillets, rien de plus, entièrement rédigés, même les transitions, tout ce qu'il y avait à dire était sous mes yeux, je n'avais qu'à calquer exactement les mouvements de mes lèvres, les exhalaisons de mon souffle, sur les signes imprimés sur les pages. De la première à la dernière phrase, tout était calibré, vingt minutes, cinq pages, quatre minutes par page, et des paragraphes à intercaler ou à supprimer au cas où je perdrais du temps, au cas où j'en gagnerais, des repères temporels, ma montre parfaitement réglée, les minutes de mon iPhone qui défilaient. C'était vingt minutes de réglées, parfaitement orchestrées. Vingt minutes maîtrisées, dans la course du temps. Ensuite il y aurait dix minutes de questions, mais là, je serais concentrée, je ne risquerais rien, rien du tout. Il n'était pas possible que je risque quelque chose, même si mes porte-bonheur m'avaient lâchée.

Tout a déraillé assez rapidement, plus rapidement que ce n'aurait dû être possible.

Ma voix ne portait pas. J'avais beau faire effort, les sons sortaient, étrangement déformés. Ils sonnaient à travers une distance que je ne reconnaissais pas, mes tympans bourdonnaient comme si nous avions été en altitude, je les regardais, il semblait difficile de retenir leurs regards, ils fuyaient, baissaient la tête, me regardaient à la dérobée, et ma voix décidément ne portait pas. Je n'avais pas d'accroche sur ce réel. J'avais du mal à articuler ces phrases, ces paragraphes ne tenaient pas, parfois mon regard se brouillait, mes cils se rejoignaient et ne se séparaient pas, et par contrecoup les lignes ne se laissaient pas retrouver dans le dédale de la page, la page elle-même devenait un labyrinthe et je tentais de cheminer à travers elle mais il n'y avait que des chausse-trappe, et ce qui devait passer ne passait pas.

Décomposition. Image par image. Mais le film défile trop lentement. Je le regarde défiler alors que je devrais être à l'intérieur, et seulement à l'intérieur. Quelque chose ne fonctionne pas. Je ne suis pas à ma place.

Questions. Un à un. Chacun son tour. Je réponds mais la distance se creuse. Ils sont de plus en plus loin de moi. La salle s'étire. Ils s'écartent de moi. Ma voix ne doit même plus leur parvenir, je pense, qu'elle ne leur parvient plus à travers une telle distance. Les efforts que je produis sont de plus en plus pénibles. Je sens que tout cela est vain. Mon énergie se perd à écarter cette image de charnier, ça ne sert à rien, elle revient encore et encore et flotte entre moi et moi. Ils me parlent, et je vois un charnier. Alors je me lève, c'est fini. Non. J'ai oublié l'un d'eux. Il me pose une dernière question. Partir. Je me rassieds. Réponds. Me relève. Partir.

C'est fini.


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