Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

lundi 4 octobre 2010

Carnets lointains, 2 (explosif)


Il fallait donc bien que je le fasse. 

Pour une fois, il n'y avait pas trop d'échappatoire. J'avais épuisé les ruses, les esquives, les détours, j'avais dilapidé toutes les fins de non-recevoir. Toutes celles qu'il m'était possible d'opposer.  Tous les stratagèmes : usés jusqu'à la corde.  Toute sortie manquée. Il ne me restait rien. Ils étaient dévoilés, déchirés. Tous. Je n'avais plus rien entre les mains. Il fallait filer doux dans le monde, jusqu'au soir.

Alors j'ai égrainé la longue litanie des obligations, des impératifs, c'était effrayant, la litanie n'en finissait plus, n'en finirait jamais, je ne voyais aucune moyen d'y échapper. Condamnation sans appel. Je sentais bien que le piège se refermait, je sentais les parois se resserrer, l'espace autour de moi était de plus en plus étroit, l'air se raréfiait, je sentais que mes épaules étaient écrasées entre les deux parois, il a fallu baisser la tête, pour ne pas se heurter aux parois, s'effacer, se mettre de profil ne suffisait pas, il fallut me courber, me laisser froisser par le monde pour pouvoir passer. L'air soudain devint tiède et irrespirable. Souffle court. Je ne sais pas. L'air manque. Ou alors … simplement… s'il était possible d'ouvrir une fenêtre ? je ne respire plus.

On n'en resterait pas là. Les portes se sont refermées d'un coup sec, je ne m'y attendais pas. Elles se sont refermées sur moi. Mon bras coincé entre les deux battants coulissants laisse pendre ma main à l'extérieur comme si elle ne m'appartenait déjà plus. Il l'a abandonnée. Les deux mâchoires se sont refermées sèchement et maintenant, elles broient ce morceau de chair qui était  à moi,  il y a  quelques instants, qui me fait encore souffrir mais que je ne contrôle pas. J'aurais voulu reprendre ma main, la faire rentrer, la faire revenir le long de mon corps, effacer les bleus, et surtout, surtout, qu'elle ne reste pas ainsi, à distance. Une femme m'a bousculée, mon bras est coincé dans la porte, ma main va se faire déchiqueter. 

Un homme est intervenu, s'est interposé de toutes ses forces. Et à présent je frotte mon coude endolori. Et puis on est descendu un peu plus loin dans l'horreur.

Il est assis en face de moi. Il sourit. Parle. Fait en quelque sorte les questions et les réponses.  Peut-être sourit-il un peu trop. Puis au détour d'une phrase, lâche ce pour quoi il m'a demandé de manger avec lui. Je prends une balle à bout portant. En pleine tête. Je sens l'os de mon crâne qui explose. La douleur est insurmontable et lui continue de parler, comme si de rien n'était. Il n'a pas l"air d'avoir remarqué.  Le garçon passe et ne semble pas se troubler. Sous la douleur, je sens que mes yeux se remplissent de larmes. Mes lèvres tremblent. C'est un déjeuner détendu de travail. Je viens de prendre une balle en pleine tête mais visiblement ça ne dérange que moi. Les autres ont l'air normal. Tout va bien. Petite scène de mise à mort sociale. Voilà tout.

Cela va durer jusqu'au soir. Cela durera comme ça sans répit. Les petites mises à mort finiront bien par m'avoir.

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