Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

jeudi 7 octobre 2010

Carnets lointains, 8 (intérieur – soir)


Le désordre dans la chambre d'hôtel est extraordinaire ; il se répand avec délices sur les meubles XVIII ème. 
Les quelques affaires qui étaient pliées plus ou moins soigneusement dans la valise témoignent à présent, répandues dans l'espace de la chambre, des espoirs et des attentes, des hésitations et des possibles, des décisions contrecarrées, des gestes tentés, annulés. Tentative d'une paire d'escarpins vite abandonnée. Je ne suis bien que dans le désordre de la vie. Une veste dont les manches sont à moitié à l'envers glissent lentement d'un fauteuil et mon ordinateur est sur le tapis, laissant monter dans l'espace une musique très étrangement répétitive. À lui seul il suffirait à abolir le temps, les notes reviennent, presque exactement les mêmes, le morceau se modifie insensiblement et si on n'écoute pas avec la plus grande attention, alors il reste seulement l'impression de la répétition, et la répétition abolit le temps, alors le moment semble suspendu, et c'est exactement ce dont j'ai besoin. Mais le désordre lui-même peut étouffer, par quelque tentative surprenante se retourner contre son auteur, et je surveille les objets du coin de l'œil, méfiante, dans la conscience de leur capacité à tout embrouiller et à se jouer de nous, pauvres sujets intentionnels, qui aurons tôt fait de nous prendre les pieds dans le tapis dans les moments intenses de dignité affirmée.
Mes amulettes se reposent autour de mon cou. La bataille est perdue mais elles sont là, toujours. Elles n'en bougeront plus, je le sais, elles resteront au creux des veines qui y palpitent, à présent il n'y a plus de raison pour qu'elles tentent de disparaître et de me laisser dans le réel imparfait. On peut rester ensemble et continuer la course. Nos sorts sont liés depuis si longtemps que je ne prends pas leur tentative de fuite, ce matin, comme une trahison ; c'était une simple mise en garde. Dialogue muet de moi à moi. Supplication instinctive. Ne tombe pas dans ce piège. Il était encore possible de ne pas tomber dans ce piège.
J'aurais mieux fait de ne pas vivre cette journée. Mais si on ne vivait que les journées qu'on a eu raison de vivre, combien, au plus, en resterait-il sur toute une vie ?

La rue est un léger trait de plume dans l'espace. Parfaitement droit. D'une église à une fontaine et inversement, d'une fontaine à une église dont les tours aériennes se découpent dans la nuit. Les noctambules se déversent un peu plus loin. Ne la remontent que de petits groupes de rêveurs désœuvrés, une fois que les silhouettes bourgeoises et sèches sont passées avec le jour déclinant. De la fontaine à l'église, et inversement, de l'église à la fontaine. Les façades sont étonnamment semblables. Artifice d'un faubourg d'autrefois, artificiel et arbitraire, qui déploie du passé dans le présent une ligne droite.
On dit qu'Antonioni y a tourné un dernier film mais je n'ai pas envie de superposer ses images aux miennes.

Mes propres ombres y passent, y compris celles que je n'y ai pas croisées, mes propres ombres m'accompagnent, et je n'ai pas besoin des rêves des autres, je n'ai pas besoin qu'ils se surimposent à mes rêves, ni que les courants s'entrecroisent et se mêlent, il me suffit de la nuit transparente, d'un souvenir de neige aussi improbable que transparent, il me suffit de cela, presque rien, et d'une ou deux ombres silencieuses.

Je crois que je n'ai plus besoin que de solitude.




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