Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

jeudi 21 octobre 2010

Carnets lointains, 14 (aplomb)


Ce pourrait être n'importe où, cet aplomb au dessus du vide. Le lieu n'importe pas, ni sa position géographique, si sa détermination sociologique, ni le regard que nous portons sur lui. À la limite, l'ici et le maintenant disparaissent eux aussi de la scène. Il reste cet entre-deux, zone frontière entre la nuit et le jour. Ce qui importe, la seule chose qui compte que cette impression naisse, pour qu'elle se déploie et prenne le pas sur toute autre chose, dans l'espace vide des pensées, c'est de se trouver en à-pic au-dessus du jour, à la verticale de la course du jour. On se tient juste au bord, dans sa cuisine, les derniers rêves de la nuit peinent à se détacher de soi, ils glissent de nous, partent en lambeaux dans les déchirements de la nuit, et parfois, dans une inflexion de notre voix, dans une réaction imprévue au monde, il restera un peu de ce que nous avons vu dans les ténèbres de la nuit, dans la tendresse de nos bras serrés autour de l'oreiller. 

David Hume retraçait, quelque part dans le Traité de la Nature humaine, au travers des incohérences complexes de notre comportement (il les regardait d'un œil amusé), des régularités plus grandes encore que toutes nos gesticulations,  des régularités qui nous englobent, plus vastes que nous, plus fiables que nos mouvements d'humeur et que nos tressaillements dans le vacarme, et sans doute, dans l'énumération qu'il fait de ces motifs, (je le soupçonne de les avoir, à dessein, choisis dans un arsenal affreusement terre à terre), il a oublié les rêves de la nuit qui remontent à la surface de nos consciences, soudainement, en plein jour, et personne ne comprend rien à notre réaction, et cela n'a aucune importance, elle est en nous, profondément ancrée.

Pour l'instant, le café refroidit dans ma tasse.

Peu à peu les rêves s'estompent, et je ne tente pas même un mouvement pour les retrouver. Je sais que, si je bouge, ils partiront un peu plus loin, dans ma conscience, dans mes souvenirs, et qu'ils ne se laisseront pas saisir. C'est un peu comme une noyade. Plus je bougerai pour les retenir, plus mes mouvements, mes efforts seront désordonnés et désespérés, incohérents et inutiles, et les images de ma vie descendront se perdre, encore un peu plus loin, ailleurs. 

Alors je reste à la verticale de ma tasse de café. Je ne bouge pas, ça ne sert à rien. De minuscules fumerolles montaient du liquide brûlant et noir et se troublaient de mon souffle. Le temps a passé et plus rien ne se passe.

Il sera bientôt temps de se jeter verticalement dans le jour.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire