Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 16 octobre 2010

Carnets lointains, XXV (indicible)


Les profondeurs s'atteignent vite, auxquelles le langage ne peut plus rien. 

La respiration se ralentit, à peine. Elle est seulement un peu plus lente, à peine, un peu plus profonde, et déjà les rêves sont parvenus au-delà de nos mots. Si nous nous essayons à les insérer dans des mots, à les capturer dans des phrases, à les articuler, alors nous détruisons leur souplesse innée, nous fragmentons leur ligne mélodique, morcelons et brisons en articulations crissantes et raides ce qui, dans la nuit, se répandait comme un poison subtile. 

Leurs émanations circulaient dans toutes les veines du dormeur, elles s'infiltraient en lui, le parcouraient, et voilà qu'au matin, il tentera maladroitement de les dire, de les noter d'une écriture hâtive sur un carnet qu'il ne quitte pas dans le métro, ou de les raconter au-dessus d'un café brûlant, dans le vacarme du jour qui commence, dans le vacarme assourdissant que déjà fait ce jour qui n'a aucune pitié, à celui qui ne l'écoute pas. 

Il hurlera des bribes désenchantées auxquelles personne ne pourra rien comprendre.

Tout a commencé par des pas. Des pas. Le martèlement du sol. Les pas sont les miens.  Pour le moment, ils sont miens. Je marche. Il pleut, les pavés sont glissants. Je ne vois pas mes pieds, mais je sens autour de mes mouvements les mouvements plus amples encore d'un manteau immense qui flotte sur mes épaules, et se balance au rythme de mes pas. C'est la nuit, brumeuse et humide, et soudain mes pas s'accélèrent. Je ne sais pas pourquoi. Les aspérités des pavés rendent la marche un peu dangereuse. Passe un fiacre dans la lumière d'un réverbère. La ville est étrangement déserte. Presque fantomatique. Le brouillard estompe les formes et par un effet de contraste, les impressions de la conscience s'aiguisent, s'affutent. Le bruit est sec, de mes pas contre les pavés luisants. Je trébuche, me relève et soudain comprends qu'il me faut courir. Je cours, je dévale une rue pavée, je cours, la rue est déserte, je continue de courir, plus je cours plus je sens que le danger se rapproche, je ne sais pas pourquoi, je continue, le plus vite possible, et le danger, quel est-il?, continue de gagner du terrain, je ne sais pas quel il est, je n'en sais rien, ce n'est pas la question, mes pas ne sont plus les seuls, j'entends mon souffle, mon cœur est près d'exploser, mon souffle est redoublé d'un autre, je cours, je n'ai pas le temps de me retourner, je sens derrière moi une présence, j'entends un souffle et les pas précipités sont plus rapides que les miens, il faut courir et cela ne sert à rien, il est évident que cela ne sert à rien, je suis à bout de souffle, je sens de plus en plus proche de moi cette présence lancée à ma poursuite, je sens l'ombre de ses phalanges, elle va me saisir, je le sens à un froid sur ma nuque pendant que je continue de courir, alors je me retourne et fais face au danger, je n'ai rien décidé, ce n'est pas ainsi, je cours et je me retourne et je fais face à ce que je fuis.

Et dans ces mots, pas une seule goutte de l'angoisse absolue qui m'étreignit ne perle.


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