Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

dimanche 10 octobre 2010

Carnets lointains, 12 (connexion)


Je me souvenais d'une ville.

Parfois elle revient dans mon esprit, sans que je puisse m'attendre à la revoir ; j'y ai habité il y a très longtemps, dans des intermittences surprenantes et instables, immense, gigantesque, il était si difficile d'en sortir, épuisant presque, en sortir demandait des efforts insensés, il fallait traverser des avenues effrayantes, et les autoroutes urbaines s'entrecroisaient dans une désordre incroyable, je n'y comprenais rien, parfois, pour sortir de chez moi, je traversais l'avenue en courant, sans presque regarder, sans trop écouter le bruit des moteurs qui se rapprochaient, les klaxons, il fallait courir, cesser d'avoir peur, ou tout simplement cesser d'être consciente, et courir entre les voitures, comme on aurait passé un gué, et puis reprendre son équilibre, un peu plus loin, en plein soleil, et s'étonner un peu d'être encore debout, de ne pas avoir trébuché. Pour en sortir, ne serait-ce que quelques heures, quelques jours, il fallait des débauches d'efforts, et encore n'étions-nous jamais sûrs de trouver le lieu que nous cherchions.

J'étais fascinée par ces autoroutes urbaines.

Il faut imaginer des immeubles dix-neuvième siècle, aux façades imposantes, décorées, manifestement bourgeoises, autrefois bourgeoises, et devant elles, à la hauteur du troisième étage, parfois plus haut encore, passait une autoroute surchargée de voitures, de taxis, de bus urbains.
On pouvait bien se représenter les vies, autrefois, derrière ces façades, elles se coulaient dans des phrases lues dans des romans, elles avaient pour elles tout le secours de mots déjà entendus, mais aujourd'hui, dans le moment où nous passions à hauteur de ces fenêtres, il était impossible de se représenter ce que pouvait infléchir, dans la vie des résidents de cet immeuble-là, à ce moment-là, de donner sur ce flot incessant et énorme. Sans doute il instillait sa fureur et son vacarme dans des vies qui en vacillaient, qui en tremblaient. Mais nous passions si vite, dans la chaleur du jour, de tout cela au fond je ne sais rien.

Dans le crépuscule, il devenait clair qu'il fallait partir. On avait supporté le jour, et soudain il fallait partir.

Il fallait impérativement aller respirer un air autre, dans un espace autre, devant la mer, au bord du fleuve, il fallait chercher un ailleurs, chercher simplement la possibilité d'un ailleurs, s'en convaincre, vaincre ensuite toutes les résistances et trouver cet ailleurs. Il fallait cheminer dans ce dédale d'autoroutes, d'avenues insensées, descendre et remonter, retrouver le souvenir de ruelles de terre battue, monter vers les collines, et puis redescendre vers la mer. Il fallait ce mouvement, et cette ampleur, et cette respiration alors qui, en dépit de la poussière rouge, et des odeurs intenses, peu à peu, revenait.

Il est possible de trouver un ailleurs nocturne, et c'est un contrepoint aux errances du jour.

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