Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

vendredi 22 octobre 2010

Carnets lointains, 17 (et inversement)


La ville emporte dans la course du jour, ville héraclitéenne dont le seul point fixe vient d'échapper à ma main. Le monde vacille. Je suis seule, debout, devant la porte qui vient de se refermer, j'ai pu entendre se refermer sur tous les pas précipités et les rires, le déclic métallique qui signale la fin de cette séquence de temps, et je suis rendue à une entière solitude, inversement proportionnelle au nombre des atomes de matière qui se précipitent et s'entrechoquent dans l'espace alentour. 

Alentour : il n'y a que des atomes de matières qui vont et viennent dans toutes les directions, incessamment, comment ne pas se demander d'où leur vient la possibilité de cette agitation, il fait froid et il n'y a aucune raison physique de leur mouvement, aucune précision concernant la cause motrice qui les emporte, non plus que la cause finale vers laquelle ils tendent, la porte vient de se refermer, ce ne devrait pas être le cas, mais je reste un instant, pétrifiée, devant la lourde porte dont les battants, imperturbablement, se ferment tous les jours à la même heure, et face à laquelle il n'y a rien à faire.

Je ne devrais pas vaciller, et pourtant c'est tout l'espace autour de moi qui vacille.

Les lignes verticales me paraissent hésitantes. L'espace est traversé de toutes parts des trajets imprévisibles de ces atomes de matière, strié de leurs passages, de leurs avancées, ils vont dans toutes les directions, viennent de toute part, je suis seulement immobilisée, dans un espace en mouvement, dans lequel tous les possibles se brassent. Je ne suis que le point fixe, minuscule, de la conscience qui regarde ces chocs de matière se faire, de toutes parts, dégringolant sur les quais du métro, les portes s'ouvrent et se ferment, ils descendent et montent, se frôlent, mais il y a des ordres mystérieux qui prévalent à tout cet apparent désordre, car finalement, les croisements se font, les courants glissent à côté des contre-courants, et il faut donc croire que tout cela est un possible du monde actuel.

Je ne suis qu'un minuscule point fixe dans l'espace de la ville.

Non que je ne bouge pas. Le mouvement emporte, et contre cela il n'y a rien à faire, le métro roule, et ensuite les mouvements, mécaniques ou volontaires porteront jusqu'au soir, dans le crépuscule bleuté, et à ce moment là, peut-être il sera possible de nouveau regarder le ciel, un instant, en visant au-delà des tours, en attendant que les portes se rouvrent, mais pour l'instant, il est très difficile de conserver la conscience de moi dans la foule du métro, dont chaque individu recrée un microcosme clos : tous les moyens sont bons. Chacun se replie, dans un endroit fermé de son monde intérieur, et il devient difficile de se penser comme rien d'autre qu'un peu de matière, alors je garde les yeux ouverts, je les regarde, tous, individuellement, il faut accepter de faire un effort  suprême pour ne pas se laisser bercer par les mouvements des wagons, pour ne pas perdre pieds, et pour cela, le meilleur biais qui soit, le seul vraiment efficace, est de regarder sans cesse, sans répit.

Ils portent sur eux leur histoire toute entière écrite.

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