Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mardi 26 octobre 2010

Carnets lointains, 24 (symétrie axiale)


Il est l'heure. Le décompte s'affiche, les minutes ont avancé, elles m'indiquent que le temps a décru et qu'il décroit encore, que le jour se termine, qu'il faut, de nouveau, attendre du même côté des lourdes portes, qu'elles se rouvrent, enfin, qu'elles laissent le passage aux pas minuscules et précipités, dans les piaillements et les rires, ont dirait des oiseaux, un vol de moineaux qui s'éparpillent sur le sol, venus d'on ne sait où, dans un bruit et un désordre extravagants. Mais avant cela, pour l'obtenir, il faut attendre, droite, immobile, au milieu d'un attroupement essentiellement féminin; que leur progéniture ressorte de l'école, elles sont si fières et se rengorgent, et évoquent ce qu'il est convenable de dire de sa vie, comme si vraiment leurs vies étaient lisses et fades (peut-être le sont-elles), moment de sociabilité ostentatoire.

Et je reviens du fin fond de la solitude.

Je ne sais pas exactement comment j'en suis revenue. Il me paraît soudain infiniment mystérieux le mouvement qui, à heure fixe, plusieurs par semaines, plusieurs semaines par an, entrecoupées de pauses massives, et festoyantes absurdement, me replace au même endroit du monde, même lieu même heure, sans aucune latitude, il ne saurait être question d'aucun retard, ni même simplement de n'être pas là où ses yeux me cherchent, pour attendre que les portes qui, le matin, se sont refermées, enfin se rouvrent, pour quelques minutes, guère plus, une dizaine de minutes à peine. Et alors, il est clair que la parenthèse du jour se referme, sur le contact doux de sa main dans la mienne. Le même qui ce matin m'avait assurée de la possibilité d'un point fixe. Exactement le même.

Je ne sais pas très bien comment me tenir au milieu de leurs postures convenablement hystériques.

Chacune se contorsionne autour d'un travers qui lui est propre, l'une rit ostensiblement, l'autre regarde ses pieds, presque hébétée, telle affiche des toilettes agressives, et trébuche sur ses hauts talons dont les jeunes adolescentes discutent les marques possibles en la regardant du coin de l'œil, parade sociale, une autre recherche avidement la compagnie des quelques pères qui se pressent là, et réserve ses rires aux représentants de la gente masculine, parade nuptiale, je les regarde, je n'ai pas envie de leur parler, à aucun, à aucune, je n'ai pas envie de comparer de soupeser d'évaluer les réussites réciproques, tout cela ne m'intéresse pas, je suis là exclusivement pour le contact de sa main dans la mienne. Je tiens contre moi le goûter attendu, comme autrefois ma mère le tenait pour moi, je sortais et je ne sais plus très bien, je dois bien le reconnaître, à quelle place je suis, je ne suis plus très sûre de mon rôle, je suis l'enfant que j'ai été, et j'attends, et mon attente est du côté de la porte qui indique très clairement que je ne suis plus l'enfant que j'ai été, je suis passée côté adultes et pourtant c'est la même attente, toujours la même, qui fait battre mon cœur.

Je suis le jouet d'une projection symétrique dont l'axe passe par les deux battants, clos, de la porte.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire