Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

dimanche 17 octobre 2010

Carnets lointains, XXVI (hurlement silencieux)


Vient ensuite un moment (les nuits ont une structure feuilletée ; sans qu'on puisse dire pourquoi, soudain, une strate se traverse, ne résiste plus au poids du dormeur, elle se déchire brusquement et le laisse descendre, ou remonter, dans une autre strate tout aussi éloignée, et tout aussi proche de lui) où les forces oniriques devinrent trop vives.

Telle une histoire dont les délinéaments dépasseraient les capacités de celui qui l'écoute, drame et déchirements d'adultes sous des yeux d'un enfant, lui qui absorbe les émotions de toute la puissance de son regard, reste là, face au monde, et il se perd dans les non-dits dont il comprend seulement qu'ils sont là, face à lui, de toute leur puissance massive et lourde. 

Le monde, cela se pressent, est obscur et lourd, où les mouvements sont des dérives massives et les glissements inéluctables des plaques, qui brisèrent la pangée, qui déchirèrent le monde dans un émiettement splendide. Les profondeurs des océans s'intercalèrent entre des rives qui autrefois se touchaient, des gouffres s'ouvrirent sous les pas, lentement, silencieusement, et à présent les possibles se sont fracassés, il ne reste que la dislocation du monde. Un monde obscur et lourd, qui bascule dans la dislocation.

Se ressent soudain l'impossibilité de la fluidité. 

Les impressions basculent dans la gravité insondable. Point de basculement. La strate est déchirée. L'immobilité gagne et écrase sans qu'il soit possible de rien faire, de rien dire. Bouger paraît hors de portée. L'écrasement du corps qui s'enfonce dans le lit, la tête lourde, sur l'oreiller déformée, s'alourdissent encore, on pourrait croire à une transmutation alchimique. Le corps devenu métal se noie dans un filon qui s'enfonce sous terre, dans des ténèbres absolues. Un instant, qui dure autant qu'il le décide, qui ramifie son extension en dehors de toute attente, il devient possible de sentir  en soi s'accomplir les métamorphoses aveugles que les alchimistes n'ont jamais percées à jour, celles qui ne se font que dans les ténèbres de la matière.

Immobilité métallique.

Le monde intérieur se mue lentement en un métal en fusion, pendant que ce qui gagne tout autour est une couche  impossible à traverser de terre, et de roches multiples, diverses, superposées à l'infini, dont les frottements immenses cristallisent sourdement la matière. Le monde entier entre en transmutation dans l'épaisseur des nuits matérielles dont il est impossible de prédire la fin. Et ce corps colloïdal et brulant reste oppressé dans un espace trop étroit pour lui.

On comprend qu'à ce moment-là, un hurlement silencieux sorte de la bouche entre-ouverte du dormeur.


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